Gastronomie bordelaise : la capitale du Sud-Ouest se déguste autant qu’elle se visite. En 2023, la métropole a franchi le cap des 1 250 restaurants référencés (+8 % en un an, Office de Tourisme), confirmant une dynamique qui pèse déjà 920 M€ de chiffre d’affaires annuel. À l’heure où 63 % des visiteurs — chiffre Ipsos 2024 — déclarent venir « autant pour la table que pour le vin », les spécialités culinaires de Bordeaux s’imposent comme un moteur touristique majeur. Coup d’œil analytique, chiffres à l’appui, sur ce secteur qui marie tradition et innovation.
Panorama 2024 des spécialités bordelaises
Bordeaux ne se résume plus au seul cannelé ou à l’entrecôte « à la bordelaise ». Le terrain de jeu s’est élargi.
- Poissons de l’estuaire : la lamproie et l’alose se dégustent de janvier à mai. Les criées de Saint-Vivien-de-Médoc ont écoulé 42 tonnes en 2023, soit +5 % vs 2022.
- Bouchées sucrées revisitées : le cannelé génère 28 millions de pièces vendues chaque année (source Confiseries de France). En 2024, 14 % des ventes concernent des versions salées (au magret ou au caviar d’Aquitaine).
- Volailles des Landes et bœuf de Bazas AOP restent incontournables sur 73 % des cartes gastronomiques locales.
- Fromages : le gratte-paille de Gironde progresse de 18 % d’un trimestre à l’autre, porté par la demande des brunchs dominicaux.
D’un côté, la mémoire culinaire se transmet (recettes héritées du XIXᵉ siècle ; foie gras mi-cuit dans 60 % des bistrots). Mais de l’autre, les chefs milléniaux injectent umami, fermentation et influences asiatiques. Résultat : la gastronomie bordelaise passe d’une image patrimoniale à une identité « glocale » (globale + locale).
Un ancrage historique intangible
La première mention écrite de l’« entrecôte bordelaise » remonte à 1846 dans le journal Le Mémorial de la Gironde. Les cannelés apparaissent, eux, en 1830 chez les religieuses de l’Annonciade. Ces racines expliquent l’attachement populaire : 71 % des Bordelais cuisinent encore au moins une spécialité régionale par mois (baromètre CSA 2023).
Pourquoi la gastronomie bordelaise séduit-elle les jeunes chefs ?
Question centrale des internautes : « Pourquoi de plus en plus de cuisiniers s’installent-ils à Bordeaux ? » Plusieurs facteurs convergent.
Un vivier de producteurs à moins de 50 km
- Bassin d’Arcachon : 7 000 tonnes d’huîtres par an.
- Entre-deux-Mers : 126 maraîchers bio, chiffre 2023, +12 % sur cinq ans.
- Landes girondines : 7 millions de canards élevés, 35 % en circuit court.
La proximité garantit une fraîcheur imbattable et un bilan carbone attractif pour la clientèle sensible aux enjeux RSE.
Des loyers encore compétitifs
En 2024, le loyer moyen d’un local commercial en centre historique s’établit à 285 €/m²/an, soit 28 % de moins qu’à Lyon. Cette différence permet aux nouveaux talents d’investir dans la scénographie ou la recherche produit plutôt que dans la pierre.
Émulation médiatique
L’arrivée du chef Philippe Etchebest en 2015 (Le Quatrième Mur, place de la Comédie) a agi comme catalyseur. Depuis, 6 étoiles Michelin supplémentaires ont été décrochées par des adresses bordelaises — dont Hatsu en 2023, tenu par les trentenaires Mitsuru Yanase et Ayako Ota.
Focus sur trois établissements emblématiques
Le Quatrième Mur, théâtre culinaire
Installé dans l’aile droite du Grand Théâtre, l’adresse sert 120 couverts par service. Signature : risotto de lamproie confite (28 €). Taux de remplissage 2023 : 96 %. Mon observation : un ballet précis, ponctué d’explications pédagogiques en salle, séduit autant les néophytes que les gastronomes.
Datsha Underground, laboratoire gourmand
Dans les anciens abattoirs des Bassins à Flot, la cheffe Marina Baruta marie alose fumée et kimchi de chou rouge. Menu unique à 68 €. J’y ai goûté un sorbet de cannelé caramélisé — audace appréciable, texture soyeuse, sucre maîtrisé.
Marché des Capucins, l’âme populaire
Plus de 270 000 visiteurs par mois (donnée SEM Bordeaux Métropole). On y trouve : tripes bordelaises dès 6 h, tapas de morue chez Chez Jean-Mi, et vins nature en dégustation matinale. Les chefs y passent ritualiser l’inspiration.
Quelles tendances culinaires surveiller cette année ?
Montée en puissance du végétal local
Les plats 100 % végétaux représentent 18 % des menus bordelais en 2024, contre 9 % en 2020 (panel Food Service Vision). La légumineuse phare : le haricot maïs du Béarn, réintroduit dans les potages fumés.
Fermentation et non-alcoolisé
L’offre de kombuchas de terroir a triplé depuis 2022. La micro-brasserie « Fermento » propose un « pét-nat de raisin » sans alcool, servi notamment à la Cité du Vin lors des ateliers pairing.
Retour des cépages oubliés
Sémillon gris, Bouchalès et Castets entrent dans les accords mets-vins. Les sommeliers bordelais répondent ainsi à la quête d’authenticité signalée par 44 % des touristes œnophiles (Enquête Atout France 2024).
Éco-conception des cartes
Des QR codes indiquent l’empreinte carbone du plat. Le restaurant Manna annonce un objectif de -30 % de gaspillage alimentaire d’ici décembre 2024.
Nuance essentielle
D’un côté, ces tendances dynamisent la scène locale. Mais de l’autre, certains puristes redoutent une dilution de l’identité bordelaise. Pour Jean-Pierre Xiradakis (fondateur de La Tupina), « la modernité ne doit pas gommer la simplicité d’un confit de canard à l’ancienne ». Ces tensions créent un débat fertile, garant d’une évolution respectueuse du patrimoine.
Comment savourer Bordeaux au-delà de l’assiette ?
Allier découverte gastronomique et patrimoine (architecture classique, street art des Bassins de Lumières) renforce l’expérience. Pensez à :
- Balade œnotouristique dans le quartier historique des Chartrons.
- Visite de l’exposition « Bordeaux port(e) du monde » au Musée d’Aquitaine pour contextualiser les épices arrivées au XVIIIᵉ siècle.
- Détour par les ateliers de tonnellerie pour comprendre l’impact du chêne sur les vins servis à table.
Ces parcours complètent naturellement nos autres dossiers sur l’oenotourisme, la vie nocturne et le patrimoine bordelais.
Depuis quinze ans, je sillonne les ruelles pavées à la recherche de la bouchée qui étonne. Chaque saison offre un prétexte à revenir, à humer l’air iodé qui remonte la Garonne, à s’asseoir devant une assiette respectueuse du terroir mais tournée vers demain. Si votre curiosité se sent titillée, laissez-vous guider : la prochaine découverte n’est jamais qu’à un comptoir de distance.

