Bordeaux Agora 2012 : l’expo à Bordeaux sur le patrimoine architectural

Le patrimoine actif : le cas de Bordeaux

En 2007, 1800 hectares de la ville de Bordeaux ont été inscrits au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, faisant de la ville le plus grand ensemble urbain classé au monde. Ce classement a marqué une profonde évolution de la notion de patrimoine, passant de la conservation de bâtiments à la préservation d’un paysage urbain.

Ce qui est remarquable à Bordeaux, c’est que le classement est intervenu pendant un processus de revitalisation du centre historique qui avait été engagé une dizaine d’années plus tôt. Ce processus, toujours en cours, s’est élargi à une réflexion sur l’autre rive de la Garonne et, de manière plus générale, sur les abords du secteur inscrit.

En conséquence, le « regard patrimonial » s’est encore affiné pour dépasser l’idée de paysage urbain, c’est-à-dire ce qui est vu, et s’intéresser à la structure urbaine, sa morphologie, sa stratification historique et ses pratiques sociales.

Patrimoine et métropole : élargissement de la notion de patrimoine

Cette vision patrimoniale élaborée pas à pas par la ville de Bordeaux est aujourd’hui concomitante aux réflexions qu’elle a engagées sur son futur, à l’aune des nouveaux enjeux environnementaux et de son désir de croissance à l’échelle d’une métropole d’un million d’habitants.

Dès lors, comment évoluera-t-elle lorsqu’elle sera confrontée à la globalité de la métropole, aux territoires récents et distendus des périphéries urbaines ? Quels choix opérer pour reconstituer une histoire, en déceler son patrimoine, pour identifier et éventuellement protéger ces traces d’un passé proche ? Quel rôle peut/doit jouer la notion de patrimoine en dehors des centres-villes constitués ? De nouveaux centres peuvent-ils se développer à partir de ces traces patrimoniales ?

L’urbanisme de projet que Bordeaux utilise avec une grande maturité, peut-il changer l’idée de patrimoine en identifiant davantage le potentiel urbain et social d’une organisation bâtie, que sa valeur intrinsèque ?

Patrimoine et gouvernance : une nouvelle attitude qui préserve sans classer

L’urbanisme de projet produit une décentralisation des décisions quant à l’identification et la préservation du patrimoine ; décisions aujourd’hui réservées aux organisations internationales et à l’État. On ne classe plus pour préserver, on préserve sans classer.

C’est un changement de gouvernance d’autant plus intéressant qu’il permettra sans doute une plus grande continuité entre zones à faible intérêt patrimonial et espaces sans valeur patrimoniale avérée. C’est aussi, dans ces lieux en attente de densification, que se jouera le patrimoine de demain, par la qualité et la justesse des aménagements qu’on y réalisera.

L’exposition Héritage / Hérésie

Trop de patrimoine ankylose une société, pas assez la pousse vers l’éclatement. C’est bien dans la tension entre une attitude qui consisterait à vénérer l’héritage du passé, soit à le conserver tel quel, et la nécessaire analyse critique de cet héritage qu’il faut engager pour le maintenir vivant, que se joue le futur. Un futur antérieur fait de continuités et de ruptures qui pourrait donner au patrimoine une définition ouverte et opérationnelle pour aujourd’hui : Le patrimoine, c’est ce qui est disponible.

Pas de patrimoine sans projet

Dès lors, il devient indissociable du projet dans lequel on compte l’inscrire et de la chaîne des transformations qui lui donne forme. L’exposition aiguillonnera la réflexion sur les idées communément partagées à propos de la notion de patrimoine. Elle mettra en évidence, à partir d’exemples puisés en Europe et dans d’autres cultures, sa nature oscillant entre réel, imaginaire et symbolique, tout en soulignant la grande instabilité du regard que l’on peut porter sur le phénomène bâti. L’exposition s’est installée au rez-de-chaussée du hangar 14 et a été scindée en deux parties. Son support était unique : la vidéo. Un support capable d’immerger dans le sujet, aussi bien les spécialistes que le grand public.

Instabilité culturelle

La première partie a mis en scène six thèmes choisis parmi les invariants qui traversent la question du patrimoine : forme et matière, mémoire, transformation, réflexivité, visibilité. Ils ont été abordés dans des situations limites pour réactiver leur contenu et faire débat. La deuxième partie de l’exposition s’est attachée à démontrer qu’indépendamment des politiques patrimoniales, les structures urbaines réagissent avec des degrés de pérennités différents aux transformations qui les modèlent, selon qu’il s’agisse de voies et de tracés, de parcellaire ou de bâtiments. Les voies changent très peu d’emplacement au cours des siècles, le parcellaire évolue plus facilement alors que le bâti est, parmi les trois entités, celui qui change le plus rapidement. Cette règle a été testée sur cinq villes (Beyrouth, Dresde, Dubaï, Ouagadougou, Rotterdam) qui ont vécu sur une courte période ces phénomènes de façon accélérée, leur centre ayant été soit détruit par la guerre, soit transformé radicalement par la colonisation ou la spéculation immobilière effrénée.

Patrimoine et métamorphoses urbaines

Cette “table rase” et la reconstruction rapide qui lui a succédé, ont fait apparaître que la permanence des tracés et l’emprise des espaces publics sont les lieux dans lesquels s’expriment le plus clairement les différences culturelles. Est aussi désignée, la dissociation salutaire entre morphologie urbaine, usages et appropriation de l’espace. Voilà sans doute un axe de réflexion pour trouver la souplesse nécessaire au couple évolution / conservation des paysages urbains, en mettant au cœur des débats les espaces publics et par extension, les infrastructures qui irriguent la ville.