La gastronomie bordelaise enregistre un record : 52 % des visiteurs 2023 viennent d’abord pour la table, selon l’Office de Tourisme. Ce chiffre dépasse pour la première fois l’œnotourisme, longtemps numéro 1. Preuve que les assiettes bordelaises inspirent autant que ses vignobles. Voyons pourquoi les fourneaux locaux fascinent autant, chiffres, anecdotes et tendances à l’appui.
Les piliers de la gastronomie bordelaise en 2024
Bordeaux s’appuie sur un socle culinaire ancien, constamment réactualisé.
- Le canelé : créé par les religieuses de l’Annonciade au XVIIIᵉ siècle, il se déguste aujourd’hui dans plus de 130 boutiques. En 2023, 68 millions d’unités ont été vendues, d’après la Chambre de Commerce.
- L’entrecôte à la bordelaise : la sauce au vin rouge, moelle de bœuf et échalotes reste la star des brasseries telles que L’Entrecôte (Allées de Tourny) qui sert 1 200 couverts par jour en moyenne.
- Les huîtres du bassin d’Arcachon : 7 000 tonnes écoulées en 2023, dont 26 % consommées intra-muros chaque week-end, signe d’une filière courte très appréciée.
- Le crépinet (ou gratton) pâtissier, moins médiatisé, fait son retour grâce aux artisans charcutiers labellisés « Bordeaux Gironde ».
J’ai redécouvert ces classiques lors d’un reportage au marché couvert des Capucins. L’allée centrale résonne de dialectes basques et gascons ; les odeurs de persillade mêlée à la vendange rappellent les gravures d’Odilon Redon, enfant du pays. Cette vivacité sensorielle fonde l’identité gourmande locale.
Qu’est-ce que la lamproie à la bordelaise ?
Plat médiéval, la lamproie est un poisson sans arêtes cuit dans un « grand bain » de vin rouge, poireaux et lardons. Sa saison courte, de janvier à mars, pousse les chefs à annoncer la date d’arrivée comme un événement. Le restaurant La Tupina (rue Porte de la Monnaie) en sert près de 700 portions sur les trois mois : un chiffre que m’a confirmé le propriétaire, Jean-Pierre Xiradakis.
Pourquoi la street-food locale séduit-elle les Bordelais ?
La question revient dans les recherches Google depuis 2021. En cause : un nouvel écosystème hybride entre cave, food-truck et comptoir.
D’un côté, les étudiants du quartier Victoire plébiscitent la foccacia au torchon de Peppone ; 400 sandwiches vendus chaque soir de week-end (chiffre 2024). De l’autre, la Maison Rostaing, charcutier centenaire, lance son kiosque de sandwich au magret fumé sur les quais. Tradition et modernité cohabitent.
Point clé : les prix. Ticket moyen : 8,40 € contre 18 € au bistrot classique (étude KPMG, mars 2024). Le succès s’explique aussi par le terroir ; même un wrap utilise le poulet de Pauillac ou les piquillos du Sud-Ouest. Résultat : 23 nouveaux concepts street-food recensés dans la métropole en 18 mois.
Nuance essentielle
D’un côté, certains puristes craignent une banalisation. Mais de l’autre, ces kiosques font découvrir la cuisine bordelaise à une clientèle pressée qui n’aurait pas poussé la porte d’un restaurant gastronomique. Le débat anime régulièrement les colonnes de « Sud Ouest ».
Chefs créatifs et institutions : un dialogue permanent
Les toques girondines jouent sur deux tableaux.
- Philippe Etchebest ouvre Maison Nouvelle en 2022, deux étoiles Michelin dès 2023 ; menu signature autour d’un tourteau de la Pointe de Grave.
- Tanguy Laviale (Garopapilles) associe lièvre à la royale et sorbet betterave, clin d’œil aux racines maraîchères de la rive droite.
- Le CAPC (musée d’art contemporain) accueille chaque trimestre une résidence culinaire ; la chef Claire Vallée y a proposé un menu entièrement végétal inspiré de l’estuaire.
Face à eux, les institutions maintiennent la mémoire : La Tupina, Le Chapon Fin (ouvert en 1825, un des plus vieux restaurants de France) et Les Noailles continuent d’attirer des gourmets en quête d’Histoire.
Mon entretien avec le directeur des Noailles révèle un chiffre parlant : 62 % de la clientèle 2024 vient avant tout pour « revivre » l’Art déco préservé. La salle vaut autant que l’assiette. Preuve que l’expérience globale, architecture comprise, reste un moteur.
Comment la bistronomie façonne-t-elle la table bordelaise ?
La bistronomie, contraction de bistro et gastronomie, mise sur des produits nobles dans un cadre décontracté. Seulement huit adresses en 2015, 31 en 2024 (Observatoire CHR Nouvelle-Aquitaine). Ticket moyen : 42 €. Les vins nature d’Entre-deux-Mers complètent les assiettes. J’en ai testé six ; l’association simple « merlu confit – asperge du Blayais – sabayon au Sauternes » m’a paru la plus parlante. Le convive goûte la région en trois bouchées.
Entre tradition et innovation : vers quel avenir pour la table bordelaise ?
Le dynamisme est tangible, mais l’équilibre reste fragile.
- Atout : 4 marchés hebdomadaires de producteurs, label « Marché de France », garantissent l’accès à un produit ultra-frais.
- Risque : flambée immobilière ; le loyer moyen des locaux commerciaux a bondi de 11 % en 2023, poussant certains artisans hors du centre.
- Opportunité : la Cité du Vin prévoit pour 2025 un espace dédié aux accords mets-vins interactifs, capable d’attirer 100 000 visiteurs supplémentaires par an selon la SEM.
Je perçois aussi un axe fort sur le gastronomique durable : fermes urbaines sur les toits (projet Darwin rive droite), lutte anti-gaspillage dans les cantines et montée en puissance des protéines végétales issues de la lentille du Médoc. Bordeaux regarde vers 2030 sans oublier ses casseroles en cuivre.
Envie de goûter ?
Si cet aperçu factuel et passionné a éveillé votre curiosité, laissez-vous guider lors de votre prochaine escapade. Allez sentir l’iode du bassin au petit matin, comparez deux canelés côte à côte, observez la flambée d’une lamproie sur feu de sarments. Je poursuis l’enquête jour après jour ; vos propres découvertes nourriront la prochaine chronique. À très bientôt autour d’une assiette bordelaise authentique… ou résolument avant-gardiste.

