L’histoire de Bordeaux séduit, interroge et surprend. En 2023, l’Office métropolitain du tourisme a recensé 6,1 millions de visiteurs, soit +12 % par rapport à 2019 – un record depuis la pandémie. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2007, la capitale girondine mêle vestiges antiques et mutations urbaines éclair. Ici, chaque pierre blonde raconte un siècle, chaque quai évoque un empire commercial. Cap sur un passé où fleuve, vin et ambitions politiques tissent la trame d’une cité hors norme.
Des origines gallo-romaines à l’essor du port atlantique
Burdigala, capitale d’Aquitaine
- 56 av. J.-C. : les légions de César soumettent le peuple Biturige Vivisque et fondent Burdigala.
- Ier–IIIe siècles : l’amphithéâtre du Palais Gallien (15 000 places) atteste la prospérité provinciale.
- 276 : raids saxons, premières murailles. L’empreinte romaine persiste pourtant dans le plan en damier du centre actuel.
Du Moyen-Âge à la domination anglaise
En 1154, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt rattache Bordeaux aux possessions anglaises. Le vin bordelais, exempt de certaines taxes, conquiert Londres : à la fin du XIIIe siècle, près de 900 navires quittent la Garonne chaque année. De cette période date la « flotte » des marchands gascons qui modèle durablement le commerce local.
XVIIIe siècle, l’âge d’or colonial
Sous les intendants Boucher et Tourny, les quais sont alignés, la place Royale (actuelle place de la Bourse) voit le jour (1730-1755). Bordeaux devient le deuxième port négrier français derrière Nantes : entre 1672 et 1837, 480 expéditions transportent plus de 130 000 captifs. Une prospérité ambiguë qui finance hôtels particuliers et chais monumentaux.
1860-1930, modernisation industrielle
L’arrivée du chemin de fer (gare Saint-Jean, 1852) raccorde la ville à l’arrière-pays. La population passe de 120 000 habitants en 1801 à 263 000 en 1901. Les ateliers de construction navale, les conserveries et la chimie vinicole s’implantent. Parallèlement, le phylloxéra (1869) ravage 70 % du vignoble ; le greffage sur porte-greffes américains sauve l’appellation.
Pourquoi Bordeaux est-elle surnommée « la Belle endormie » ?
L’expression apparaît dans la presse nationale dans les années 1960. Elle dépeint une ville au patrimoine exceptionnel mais figée, assoupie derrière ses façades classiques noircies par la pollution. D’un côté, la centralisation parisienne marginalise l’économie locale ; de l’autre, la municipalité de Jacques Chaban-Delmas privilégie l’expansion périphérique. Résultat : le centre historique se vide, le trafic automobile asphyxie les cours, les façades sombres dissuadent le visiteur.
Le réveil survient sous Alain Juppé (1995-2019) :
- piétonnisation des quais,
- nettoyage de 3 km de façades (2001-2012),
- tramway électrique inauguré en 2003,
- ouverture de la Cité du Vin en 2016 (plus de 430 000 entrées en 2023).
Aujourd’hui, la « Belle » assume un nouveau rythme, tout en préservant son identité patrimoniale.
Personnalités qui ont façonné la ville
Bordeaux n’est pas qu’un décor ; ce sont aussi des visages.
- Aliénor d’Aquitaine (1122-1204) : son mariage étend l’influence anglo-gasconne, instaurant deux siècles de commerce florissant.
- Montesquieu (1689-1755) : magistrat au Parlement de Bordeaux, l’auteur de « De l’esprit des lois » nourrit l’esprit critique local.
- Intendant Louis Urbain Aubert de Tourny (1695-1760) : il dessine les allées de Tourny, préfigure le Bordeaux classique.
- François Mauriac (1885-1970) : son roman « Le Nœud de vipères » immortalise le climat bourgeois des Chartrons.
- Jacques Chaban-Delmas (1915-2000) : maire pendant 48 ans, il impulse la métropole moderne (pont d’Aquitaine, rocade).
À titre personnel, j’ai souvent arpenté la rue Sainte-Catherine – plus longue artère piétonne d’Europe (1,2 km). Chaque fois, je pense à l’ingénieur Jean-Baptiste Billaudel qui, en 1835, propose déjà un axe commerçant pour désengorger les quais : preuve que l’aménagement urbain s’inscrit dans le temps long.
Un patrimoine vivant entre pierre blonde et modernité
Le centre historique, laboratoire d’urbanisme
La pierre calcaire de Saint-Émilion donne cette teinte « miel » unique aux façades. Outre la place de la Bourse et son Miroir d’eau (architecte Jean-Max Llorca, 2006), la Porte Cailhau (1494) rappelle la puissance médiévale. La ville compte 347 monuments historiques, contre 208 à Toulouse – un atout pour la valorisation touristique.
Quais, ponts et reconquête des berges
- Pont de pierre (1822) : 17 arches, voulues par Napoléon Iᵉʳ.
- Pont Jacques-Chaban-Delmas (2013) : plus grand pont levant d’Europe (110 m d’ouverture).
- Bassins à Flot : anciens docks réhabilités, ils accueillent aujourd’hui start-ups maritimes et halles gourmandes (clin d’œil à nos dossiers sur gastronomie locale).
D’un côté, la sauvegarde du patrimoine évite la gentrification galopante. Mais de l’autre, la flambée immobilière (+47 % en dix ans selon la Chambre des notaires) pousse certaines familles hors de l’hyper-centre. L’équilibre demeure fragile.
Vignoble et rayonnement mondial
Les 65 appellations d’origine contrôlée bordelaises couvrent 110 000 ha. En 2022, 440 millions de bouteilles ont été exportées. Un musée comme la Cité du Vin consacre cette dimension internationale, tout en offrant un angle de rapprochement vers nos thématiques vinicoles et œnotouristiques.
Repères clés (récapitulatif)
- 56 av. J.-C. : fondation de Burdigala
- 1154 : union anglo-gasconne
- 1730-1755 : place Royale édifiée
- 1852 : chemin de fer Bordeaux-Paris
- 2007 : inscription UNESCO
- 2023 : 6,1 millions de touristes accueillis
Comment cette mémoire nourrit-elle l’avenir ?
L’histoire de Bordeaux n’est pas qu’un chapitre tourné. Elle guide les politiques climatiques (revégétalisation des cours), inspire l’architecture durable (éco-quartier Bastide-Niel signé Winy Maas) et stimule l’économie créative (Darwin Écosystème, FabLab). En comparant les archives d’urbanisme de 1880 aux plans actuels, on constate une constante : l’adaptabilité bordelaise. Fleuve, vin, savoir-faire technologique – la ville capitalise sur ses racines pour affronter les défis 2024 : montée des eaux, tourisme soutenable, attractivité universitaire.
Je referme ici ma chronique girondine en invitant chacun à lever les yeux lors de sa prochaine promenade cours du Chapeau-Rouge : derrière les mascarons rieurs, l’épopée bordelaise continue de s’écrire. Vous aimez explorer les strates du passé ? Restez curieux, d’autres récits patrimoniaux – des villas Art déco du Cap-Ferret aux châteaux viticoles méconnus – ne demandent qu’à être découverts ensemble.

