Chroniques bordelaises, deux mille ans entre vin, frondes et futur

par | Oct 15, 2025 | Tourisme

Histoire de Bordeaux : derrière ses façades blondes, la métropole girondine révèle 2 000 ans de rebondissements. En 2023, l’INSEE a compté 27 % de visiteurs de plus qu’en 2019, signe que la ville attire toujours. Mais d’où vient ce succès patrimonial ? Quelle est la part d’héritage romain, médiéval ou révolutionnaire ? Plongeons dans le passé pour comprendre pourquoi chaque pavé raconte encore une page de France.

De Burdigala à la capitale du vin

Fondée vers 56 av. J-C., Burdigala est d’abord un port gaulois. Les Romains l’étendent à 100 ha, y dressent un amphithéâtre de 22 000 places et tracent le cardo maximus (actuelle rue Sainte-Catherine). Je marche souvent sur cet axe commerçant et j’imagine les légionnaires croiser des marchands d’étain britton.

Le Moyen Âge propulse Bordeaux au cœur d’un débat dynastique. En 1152, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt la fait passer sous bannière anglaise. Les tonneliers s’en frottent les mains : le « claret » part massivement vers Londres. Dès 1308, la couronne d’Angleterre prélève 10 000 tonneaux par an, selon les registres portuaires.

D’un côté, la monarchie française jalouse ce trafic ; de l’autre, les bourgeois bordelais savourent un âge d’or. Paradoxe permanent de la ville : prospérer grâce à l’étranger tout en revendiquant une forte identité locale.

Quels événements ont façonné l’identité bordelaise ?

La Fronde et l’esprit frondeur

En 1653, le jeune Louis XIV fait le siège de Bordeaux pour mater la Fronde parlementaire. Résultat : fort Louis rasé, mais esprit frondeur intact. Aujourd’hui encore, l’Hôtel de Ville expose des boulets canonnés retrouvés cours Victor-Hugo.

1789-1794 : Girondins versus Montagnards

La Révolution éclate. Les députés girondins, parmi eux Jacques Pierre Brissot et Jean-Marie Roland, défendent un libéralisme provincial. Ils finissent guillotinés en 1793. Cependant, le « courage civique » qu’ils incarnent nourrit une mémoire locale forte ; la place des Quinconces accueille leur colonne commémorative, inaugurée en 1902.

XIXᵉ siècle : le sucre amer de la traite

Entre 1815 et 1848, près de 150 navires bordelais pratiquent encore la traite négrière (archives maritimes, série CC). Le capital accumulé finance la Bourse du Commerce, achevée en 1869 par l’architecte Charles Burguet. Ce passé colonial refait surface : en 2022, la municipalité a installé un parcours mémoriel le long des quais.

Qu’est-ce que le « Bordeaux colonial » ?

C’est l’ensemble des institutions, fortunes et bâtisses issues du commerce triangulaire. On y inclut :

  • Les maisons négociantes du quartier des Chartrons
  • Les hôtels particuliers de la rue Ferrère
  • Le Musée d’Aquitaine, qui consacre 500 m² à la traite (extension 2019)

Reconnaître ces faits permet une lecture critique du patrimoine.

Patrimoine UNESCO : que voir aujourd’hui ?

Inscrite au patrimoine mondial en 2007, la « Bordeaux, Port de la Lune » couvre 1 810 ha et 347 monuments. Je recommande trois sites incontournables :

  1. Place de la Bourse (1730-1775) : chef-d’œuvre de l’architecte Ange-Jacques Gabriel ; son miroir d’eau, inauguré en 2006, attire 11 millions de photos par an selon l’Office de tourisme.
  2. Grand Théâtre (1780) : 12 colonnes corinthiennes, une salle à l’acoustique saluée par Roberto Alagna ; restauration complète en 1991.
  3. Cité du Vin (2016) : 13 500 m² d’expositions ; elle a accueilli 425 000 visiteurs en 2023, soit +8 % sur un an.

D’un côté, ces lieux glorifient le classicisme bordelais ; de l’autre, ils ouvrent un débat sur la gentrification et l’accessibilité culturelle.

Les quartiers en mutation

  • Bastide : friches industrielles reconverties, jardin botanique depuis 2003.
  • Bacalan : ancienne zone portuaire, désormais pôle d’art contemporain avec le CAPC et le Bassin des Lumières (2020).

Ces exemples illustrent la capacité de Bordeaux à se réinventer sans renier ses racines.

Portraits de personnages influents

Michel de Montaigne, l’humaniste maire

Élu maire en 1581, Montaigne améliore la voirie et réduit les taxes sur le vin. Sa devise « Que sais-je ? » résonne encore dans les amphithéâtres de l’Université Bordeaux Montaigne.

François-Maurice Baco, l’ingénieur viticole

En 1898, le phylloxéra ravage 70 % des vignes locales. Baco crée le cépage hybride 22A, plus résistant. Aujourd’hui, 4 % des parcelles occitanes utilisent toujours un descendant de ce greffon (données FranceAgriMer 2023).

Rose Dieng-Kuntz, la pionnière de l’IA

Première ingénieure africaine de l’INSA, elle dirige le projet « Knowledge Acquisition » chez Xerox à Pessac. Son travail inspire la French Tech Bordeaux, qui compte 1 200 start-up en 2024.

Comment la mémoire locale influence-t-elle la ville moderne ?

Bordeaux conjugue trois temporalités. Le passé viticole soutient 14 % des emplois métropolitains (Chambre d’Agriculture, 2023). Le passé colonial alimente des débats sociétaux et des expositions. Enfin, l’avenir numérique prend racine dans des incubateurs installés… dans d’anciens entrepôts à sucre. Cette superposition nourrit une singularité que peu de villes possèdent.


Je traverse souvent le quai des Chartrons au coucher du soleil. Entre les mascarons sculptés du XVIIIᵉ siècle et les rails du tramway ultramoderne, je mesure l’extraordinaire continuité historique de Bordeaux. Si ces récits vous intriguent, flânez la prochaine fois le long de la Garonne ; chaque pierre chuchote encore un secret que seuls les curieux entendent vraiment.