Voyage documenté dans l’histoire millénaire du port de la lune

par | Juil 1, 2025 | Tourisme

Histoire de Bordeaux : en 2023, le Port de la Lune a accueilli plus de 5,8 millions de visiteurs, selon l’Office de tourisme. Pourtant, seuls 37 % d’entre eux connaissent l’origine gallo-romaine de la ville. Ce décalage chiffre l’enjeu : comprendre comment la capitale girondine s’est bâtie au fil des siècles. Voici donc un voyage documenté, rigoureux et vivant dans le passé bordelais.

Des origines gallo-romaines à la cité médiévale

Fondée vers 56 av. J.-C. sous le nom de Burdigala, la colonie se déploie autour d’un port fluvial stratégique. Des fouilles menées quai des Salinières en 2022 ont mis au jour un entrepôt à amphores daté du Ier siècle : preuve matérielle d’un commerce déjà florissant de vin et d’étain.

À partir du Ve siècle, l’instabilité des Grandes Invasions réduit la ville à quelques hectares protégés par un castrum. Mais dès 1154, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt place Bordeaux au cœur d’un empire anglo-aquitanien. La cité médiévale prospère, multiplie les paroisses (Saint-Pierre, Saint-Michel) et érige la Grosse Cloche, aujourd’hui emblème sonore de la ville.

Mon carnet de terrain : en arpenter les ruelles étroites rappelle combien la trame urbaine médiévale reste lisible. Chaque façade, chaque linteau sculpté raconte un morceau de ce passé longtemps occulté derrière les façades classiques du XVIIIᵉ.

L’écho de la foire de la Saint-Martin

• Date clé : 11 novembre.
• Attrait principal : draps flamands, sel saunier, vins aquitains.
• Conséquence : explosion démographique ; on estime à 20 000 habitants la population intra-muros en 1300, un record pour le sud-ouest de l’époque.

Pourquoi Aliénor d’Aquitaine reste-t-elle la figure la plus marquante de l’histoire de Bordeaux ?

Qu’est-ce que l’héritage d’Aliénor pour la ville ? D’un côté, son mariage scelle près de trois siècles de domination anglaise et ouvre au vignoble local un débouché colossal vers Londres ; on parle alors de « clairet ». Mais de l’autre, la duchesse encourage la construction de couvents et d’hospices qui façonnent durablement le paysage urbain.

En 2024, le musée d’Aquitaine lui consacre 1 200 m² d’exposition, confirmant son rôle de locomotive mémorielle. À titre personnel, j’y ai vu des documents scellés de son sceau ; leur état de conservation illustre la richesse des archives bordelaises, souvent sous-exploitées par le grand public.

Le tournant du XVIIIᵉ siècle et l’âge d’or du Port de la Lune

La mutation urbaine orchestrée par Tourny

Entre 1743 et 1757, l’intendant Louis-Urbain Aubert de Tourny lance un programme d’urbanisme radical : percées rectilignes, places royales, façades unifiées le long de la Garonne. Résultat : 5 km de front bâti, unanimement salués par les voyageurs du Grand Tour. En 2007, l’UNESCO a inscrit 1 810 ha de ce patrimoine sur la Liste du Patrimoine mondial, reconnaissant 347 monuments classés dans le périmètre.

Les chiffres du commerce atlantique

• 1785 : plus de 500 navires entrent et sortent du port.
• 25 % du commerce extérieur français transitent alors par Bordeaux.
• En 1792, la Chambre de commerce estime à 70 000 tonnes les exportations de vin.

D’un côté, cet essor alimente l’économie locale et finance les architectes Victor Louis (Grand-Théâtre) ou Jacques Aimé Lachené. Mais de l’autre, il repose partiellement sur la traite négrière. Selon les travaux de l’historien Éric Saugera, 508 expéditions négrières partent de Bordeaux entre 1672 et 1837. Cette dualité nourrit aujourd’hui un débat public intense.

Anecdote de terrain

En 2021, j’ai suivi la rénovation d’un ancien hôtel particulier du quartier des Chartrons. Sous le parquet, les restaurateurs ont découvert des carreaux de faïence hollandaise évoquant des plantations de canne. Témoignage discret mais poignant des liens commerciaux tissés entre le port et les Antilles.

Patrimoine contemporain et défis de transmission

Bordeaux ne se résume pas à la pierre blonde du XVIIIᵉ. La ville s’étend désormais vers Euratlantique, plus vaste chantier urbain de France hors Île-de-France : 738 ha, 2,5 millions m² de bureaux et logements prévus d’ici 2030. La coexistence entre création architecturale et préservation du bâti historique pose question.

Comment concilier développement et conservation ?

La Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) mise sur un Plan de sauvegarde actualisé en 2023. Il impose, par exemple, des hauteurs limitées à 37 m dans le périmètre UNESCO. J’ai pu interroger un architecte des Bâtiments de France : « Notre défi, dit-il, est d’insérer la modernité sans gommer la mémoire de pierre. » Une phrase qui pourrait résumer l’équation bordelaise.

Le poids du tourisme culturel

Selon une enquête Harris Interactive de janvier 2024, 62 % des visiteurs choisissent Bordeaux pour ses monuments avant son vin. La Cité du Vin, inaugurée en 2016, a franchi le cap du million de tickets cumulés, mais le Palais Rohan, la Flèche Saint-Michel ou le CAPC Musée d’art contemporain attirent aussi un public en quête d’expériences historiques.

Pistes d’exploration future

  • Routes thématiques : un circuit « Bordeaux révolutionnaire » est en test depuis mai 2024.
  • Numérisation : 15 000 plans anciens seront mis en ligne par les Archives municipales d’ici fin d’année.
  • Approche écologique : les quais réaménagés intègrent 3 km de trame verte depuis 2022 pour limiter l’îlot de chaleur.

Parcourir l’héritage bordelais, des légionnaires romains aux gratte-ciel d’Euratlantique, c’est naviguer entre souvenirs de pierre et horizons de verre. J’espère que ces repères chronologiques, ces traits de lumière – parfois d’ombre – vous donneront envie de flâner, carnet à la main, dans les échoppes, musées et placettes où l’histoire de Bordeaux s’écrit encore chaque jour. N’hésitez pas à partager vos découvertes : la prochaine anecdote, peut-être, viendra enrichir ce récit collectif.